Certains ont leur expression, un tic de langage ou une mine personnelle. Telle une signature. Comme beaucoup, j’ai ma mimique. Un sourire. Ou plutôt un p’tit sourire en coin qui suit toujours cette question que j’entends depuis deux décennies. « Mais pourquoi t’es pour Rennes ? ». Alors, lorsque la Social Room m’a demandé d’écrire un petit bout sur mon histoire, je me suis dit que ça serait enfin l’occasion d’y répondre. Après tout, j’étais plutôt destiné à embrasser le Chaudron, moi l’enfant de Sainté. Et pourtant…
Si depuis la fin des 90’s ma télé fait figure de Route de Lorient et mon canap’ de virage il est important de revenir en arrière pour comprendre cette drôle d’histoire. Nous sommes dans les années 30’s lorsque mon arrière grand-père débarque dans le Forez. En toute logique son fils, stéphanois donc, devient fan des verts. L’histoire est en marche. Sa fille tombe amoureuse de l’ASSE version Rocheteau et épouse… un autre mordu de Sainté. On se dit alors que le gamin qui viendra au monde de ces deux-là sera 100% ‘Stéph’. Sacré fiasco…
Nonda, mon amour
Vous l’aurez compris, le « couac » en question, c’est bibi. À l’été 98 comme beaucoup de gosses de l’hexagone je vibre devant les exploits de la bande à Zizou. Derrière la Coupe du Monde, la saison 1998/99 s’ouvre et avec elle, un nom, une révélation, un amour de joueur. Shabani Nonda. À l’école toujours les mêmes chiffonneries. Paris ou Marseille ? Lyon ou Sainté ? Bref l’originalité niveau zéro. C’est à ce moment précis que le numéro 10 rennais est rentré dans ma vie. Des qualités athlétiques incroyables, un sens du but redoutable et 18 cages fracassées. Bienvenue en Ligue 1 Shabani. C’est dorénavant écrit, je suivrai Rennes toute ma vie.
L’Intertoto en poche, mes Rouge et Noir ramènent un nul historique face à la Juve Route de Lorient. C’est l’époque Nonda, Bardon, Le Roux, et après notre 5e place, je vis mes premières émotions de supporter. Mais rapidement un problème majeur se pose à moi. Comment vivre ma passion à des centaines de km ? Gamin, je collectionne dare-dare les quelques papiers sur le Stade, écoute les matchs à la radio et me rencarde sur l’histoire du club. Très vite mon premier maillot déboule à la maison mais quelque chose me manque. Encourager mon équipe. Non pas derrière un écran obsolète mais au stade.
Rêve de gosse et premiers frissons
De là débute un rêve de gosse. Devenir journaliste et suivre le Stade Rennais au quotidien. En attendant j’ai une dizaine d’années et je vis en Rhône-Alpes. Un peu têtu et surtout déterminé je demande à mes parents de m’emmener voir Rennes. Aussi sec j’assiste chaque année aux rares matchs dans la région. C’est le pied. Je suis un bambin mais je peux porter fièrement mon maillot. Le seul souci c’est que je suis seul. Comme ce soir de novembre 2000 à Marseille où je me lève sans me poser de question sur le but de Delaye (0-1). Je ne suis encore qu’un enfant et ça passe. Mais je vis le truc en solitaire et ce n’est pas toujours simple. Avec en poche quelques souvenirs douloureux. Comme cette branlée prise à Lyon en 2001 (4-0). J’ai 12 ans et je rage de voir ces gens heureux alors que mon équipe perd. À l’école on me chambre constamment. « Mais pourquoi t’es pour Rennes ? C’est nul ». Et je m’interroge. À cette époque, je me souviens m’être fait cette réflexion : « Mais bordel, pourquoi personne n’est pour Rennes ? » J’ai une douzaine d’années et j’ai encore du mal à comprendre que je suis un club peu médiatisé.
En mars 2002, pour la première fois ma mère m’offre quelques jours en Bretagne. Et lorsqu’on déboulonne dans les travées de Route de Lorient pour un Rennes-Marseille mon cœur fait Boum. Partout autour de mois, du rouge, du noir et des fans de « mon » équipe. Enfin. Les poils se dressent, les yeux picotent, et mon regard n’en perd pas une miette. Les voilà ces supporters rennais que j’ai cherchés toute ma vie. Ils existent. L’un des plus beaux souvenirs. Mais je grandis et un autre obstacle se pose. Je peux voir Rennes qu’épisodiquement et mes héros se payent le luxe de perdre à chaque fois. Le bilan devient vite lourd. Que ça soit à Sainté, Lyon, Nice ou encore Monaco, l’équipe perd à chaque fois.
Désillusions et gueule de bois
Alors lorsqu’en 2009, je rapplique au SDF pour la finale de la Coupe de France, l’histoire se répète. Et le retour est douloureux. Les copains chambrent, et comme souvent je suis seul pour encaisser un revers qui m’aura marqué au fer rouge. Mais je ne désespère pas et continue ma route avec toujours mon objectif. Vivre et travailler à Rennes. Fin 2012 j’intègre une école de journalisme dans le sud à Nice. Évidemment Rennes y perd au Ray avec ce fameux plongeon de Bauthéac et évidemment je suis au stade. Mais le plus dur reste à venir. D’abord avec cette finale face à Sainté. J’arrache un billet au black sur twitter que je surpaye, mais la passion n’a pas de prix. Me voilà en tribunes pour une finale face à mes potes. Là encore le destin est cruel. Pendant qu’on sombre doucement côté nord, mes amis d’enfance allument leur torche côté sud. Le calvaire. Et le plus dur est toujours à venir…
On est en 2013/14 et je suis toujours sur Nice. Je débute tranquillement la saison par un road-trip en septembre pour les deux derbys. L’un à Rennes, plus de dix ans après mon unique passage, face à Nantes et l’autre à Guingamp. Deux défaites, merci, au-revoir. Pour la demi contre Angers je fais un aller retour sur 24H en séchant deux jours. Le plan galère où tu prends un avion Nice-Nantes pour ensuite monter en voiture, revenir dormir à Nantes et partir à l’aurore. Mais cette fois on gagne et je vis ma plus belle émotion RDL. Enfin arrive la finale et là encore je déniche un ticket grâce à des amis rennais rencontrés sur twitter. Ceux-là mêmes qui m’ont logé pour la demi. Là encore je vis le truc à fond mais comme toujours, je rentre en train après une nouvelle désillusion. Un putain de crève cœur. Un de plus.
Éternel recommencement
Diplôme en poche, je tente alors de me rapprocher de Rennes. Malheureusement les portes restent fermées et l’échec est digne d’une finale du Stade Rennais. Après une année sur Paris, je décide de mettre ma vie pro en stand-by le temps d’une année pour découvrir l’Écosse. Autant dire que ce n’est pas toujours simple de suivre mon équipe. Mais c’est l’histoire de ma vie. De ces vingt années passées à supporter Rennes j’ai quelques anecdotes sympas. Comme cet été près de Biarritz où je rencontre un groupe de Rennais. Ils ne voulaient pas croire que j’étais supporter Rouge et Noir en venant de Saint-Étienne. J’ai dû réciter l’équipe type pour les convaincre.
Pour la finale face à Sainté, je buvais une bière avec des supporters Verts rencontrés avant la rencontre. J’ai eu beau épiloguer pour leur faire comprendre que j’étais de Sainté et que j’avais fait le chaudron une bonne vingtaine de fois, ils ne voulaient rien entendre non plus. Il a fallu leur donner le nom de mon ancien lycée et les pubs de la rue des Martyrs de Vingré pour qu’ils me demandent alors : « Mais attends… Pourquoi t’es pour Rennes ? ». Et comme chaque fois j’ai souri en pensant à mon grand-père qui me posait cette même question.
S’il a échoué à me transmettre sa passion du maillot vert malgré ses récits enflammés, on peut dire que j’ai hérité d’une chose. Ses larmes. Tu vois papi, j’ai suivi ton chemin. Car comme toi j’ai pleuré. Comme toi en finale. Et comme toi je déborde d’amour pour mon club, ma passion, ma ville. Pas d’origine, certes, mais « de cœur ». Rennes. Mon premier amour. Un béguin indélébile, inépuisable, éternel débuté un soir d’août 98. Et qui perdure toujours 18 ans – et quelques larmes versées - après. Et qui sait ? Peut-être qu’un jour je toucherai du doigt ce rêve de gosse. Vivre dans « ma » ville. Là où personne ne me demandera : « Mais pourquoi t’es pour Rennes » ?
J-Sé Dusser
En bonus, on a retrouvé un autre témoignage de J-Sé, après la demie contre Angers en 2014. Du pur régal. Éternels espoirs